L’Entente… Ce qu’elle a nourri de légendes cette équipe aux couleurs mythiques : noir et blanc. Ces tons opposés mais unis dans la même équipe ont fait vivre et donné du sens à plusieurs générations de Sétifiens.
Et pas seulement : à une certaine époque, celle des Aribi et des Kermali, celle des Kharchi, Koussim, Ferchichi, Mattem et Salhi, celle du second souffle et du beau jeu, tout l’Est algérien portait le noir et blanc. Elle était le fleuron d’une région, mais en fait elle appartenait à toute l’Algérie parce qu’on ne peut pas enfermer un mythe dans un espace réduit. Le mythe est comme le mercure : il vous coule entre les doigts. Justement, les joueurs de l’Entente étaient «mercuriens» : clairs dans leur jeu et insaisissables dans leurs mouvements.Ali «Layass», le père fondateurEn 1956, à Sétif, comme ailleurs, aux quatre coins du pays, un vent de malaise souffla chez les jeunes et les moins jeunes. Désabusés et désorientés, ils se livrèrent à des pratiques que la morale réprouve. Mais, Dieu merci, à cette époque, un homme âgé de 35 ans environ, déjà connu dans les milieux sportifs de la ville de Sétif pour avoir drivé avant la guerre de Libération l’équipe de l’USFMS (l’Union sportive francomusulmane sétifienne, actuellement l’USMS) juniors et qui, en même temps, occupa le poste de gardien du stade municipal Eugène-Girod (Mohamed- Guessab actuellement), émergea de l’ombre pour sauver cette jeunesse. Cet homme, dont la prévoyance n’eut d’égal que sa perspicacité, et soucieux du sort de ces centaines de jeunes, s’engagea courageusement dans leur prise en charge afin de séparer le bon grain de l’ivraie et de récupérer les meilleurs d’entre eux. Pour ce faire, il prit soin d’en rassembler un maximum au stade. Il s’agit de Ali Benaouda, dit Layass. Dès lors, l’unique stade de la ville de Sétif devint alors le lieu privilégié de beaucoup de jeunes issus des différents quartiers, ceux des équipes de l’USFMS et du SAS (Stade Africain Sétifien), ainsi que les joueurs sétifiens évoluant dans les équipes françaises tels que le SSS et la JSS. Lors des séances de défoulement, il y avait plus de 150 jeunes occupant la totalité du terrain. La ribambelle de gamins jouait, touchait le ballon, se défoulait. Les plus âgés ressentaient une joie immense, même si parfois Ali, en bon maître qu’il était, ne se gênait guère à user de certaines méthodes peu ordinaires pour gérer à sa guise la situation, vu et le grand nombre et le comportement de certains récalcitrants. Les jeunes savaient bien qu’ils n’étaient jamais à l’abri d’un coup de sifflet sur la tête ou d’une poignée de cailloux quand on osait se montrer têtu. D’ailleurs, c’est à cause de son comportement vis-àvis de ses protégés qu’il a été définitivement surnommé Layass. Comme Ali utilisait des cailloux pour punir ses poulains, ceux-ci n’ont pas trouvé mieux pour le taquiner que de l’appeler au début Caillasse, mais pour atténuer l’effet du sobriquet qu’ils avaient inventé, ils ont remplacé le C par le L, ce qui donna alors le fameux Layass, une façon à eux de lui rendre la monnaie de sa pièce.
La naissance d’un mytheLes jeunes continuaient à se rendre au stade de plus en plus nombreux pour jouer en s’amusant et s’amuser en jouant, deux à trois fois par semaine. Au fil des jours, ils s’avéraient très doués, tellement doués que les militaires de la CRAAT Aïn Arnat, qui s’entraînaient au stade, restaient ébahis et admiratifs devant les potentialités de ces jeunes. Layass lui-même, connu pour avoir un flair unique dans la prospection et le choix des joueurs, n’en croyait pas ses yeux, et pour avoir le cœur net sur les capacités de ses marmots, il n’a pas hésité à répondre favorablement aux sollicitations des militaires français, avec bien sûr la bénédiction du FLN, pour des rencontres de football. En fin technicien et tacticien, maîtrisant ce sport, Layass avait évidemment compris qu’il était en face d’un groupe de jeunes aux capacités énormes, une équipe qui pouvait faire mal et tenir la dragée haute aux équipes de la région. Les rencontres qui opposaient les Belebcir, Oucissa, Zellagui, Mekkidèche, Abaoub, Khababa, Kemicha… aux équipes militaires françaises se terminaient invariablement en faveur des Sétifiens. Les militaires faisaient pâle figure devant la classe de ces jeunes joueurs et avaient beau faire en renforçant leurs rangs par les meilleurs joueurs français, mais les «indigènes» réussissaient quand même à les humilier, à leur damer le pion chaque fois qu’ils voulaient leur tenir tête.
L’Entente au service de la RévolutionSans répit, l’intrépide Ali multipliait les efforts et enchaînait les rencontres, et de jour en jour, le cercle de sa bande s’élargissait. Cela ne pouvait que le ravir, car, plus que jamais, il réalisait que le groupe qu’il dirigeait était bien soudé, uni, et qu’une ambiance bon enfant régnait entre ces joueurs venus de toutes parts. une véritable entente commençait à se tisser, et qui lui donnait pleine satisfaction. Lui, qui n’avait pas eu l’occasion de monter au djebel, réalisait qu’il était aussi utile là où il se trouvait, d’autant plus que, grâce à lui, de nouvelles têtes aux objectifs autres que le football faisaient leur apparition au sein du groupe, se servant bien sûr du stade et de ses vestiaires comme refuge et couverture pour s’adonner aux pratiques extrasportives. Ces nouveaux venus étaient évidemment attirés par l’avantage des contacts avec les militaires, des contacts qui s’avéraient utiles et fructueux, facilitant les opérations, passant du vol d’armes et de treillis militaires à l’achat des fournitures plus ou moins nécessaires pour mener à bien le combat quotidien contre la France. La présence de toute cette panoplie de joueurs surdoués aux qualités footballistiques extraordinaires et de fidayin au sein de l’équipe donna, évidemment, des idées aux dirigeants du FLN de la région, à leur tête Si El Hachemi, activiste de renom dans la ville, et El Fodhil Tergou, commissaire politique de la Wilaya I, qui pensèrent que cela ne pouvait que procurer un appui de plus à la résistance algérienne. Ils prirent alors contact avec Layass pour lui demander d’entreprendre les premières démarches et engager le club officiellement dans les compétitions. Peu de temps après, Layass, entouré de quelques amis dynamiques, tels Laïb Lakhdar dit le «Gros», Dekoumi Brahim, Hammadi Nefir et Bessou Youcef, prirent les choses en main et déposèrent, au début de l’année 1960, le dossier d’engagement du club au niveau de la préfecture. Au départ, l’autorité coloniale signifia un niet catégorique, et pour cause, l’existence de certains éléments au comportement douteux et subversif dans le groupe. Cette première démarche n’ayant pas abouti, Layass et ses compagnons durent patienter pratiquement une année et demie pour obtenir satisfaction. Persévérants et impénitents dans leur initiative, ils réussirent à atteindre le but fixé et engager le club.
Début de l’aventureLe club est donc officiellement né en 1961, sous le nom de ESS «Entente Sportive Sétifienne». Le nom ESS tire ses origines du fait que la majorité des éléments composant le groupe venaient de toutes les régions, et, au fil du temps, il s’est avéré qu’entre tous ces jeunes qui ont rejoint le club, des relations fraternelles se sont créées et développées, c'est-à-dire la parfaite entente. Cette fraternité a été relevée et mise à profit par Layass et ses compagnons et leur donna l’idée d’appeler le club Entente, suivie des initiales SS «Sportive Sétifienne». Pour l’anecdote, certains racontent que le sigle ESS signifiait Elément Secret Sétifien, une manière de dire que le club regorgeait de fidayin et de moussebiline. L’équipe, en plus de la richesse de son effectif, recrutait un nombre important d’éléments secrets : Hafsi Tahar, qui, après maintes opérations de sabotage, s’est fait piéger et fut exécuté, Keddad et Mohamed Guessab dit «Kraïbia», spécialistes dans la pose des bombes, Bessou et Kharchi, deux éléments de la résistance qui ont été capturés et emprisonnés, Zaï, le pharmacien, fournisseur en médicaments, etc. Toutes ces personnes représentaient un apport appréciable dans la lutte pour l’indépendance de notre pays : les laissez-passer collectifs délivrés par l’occupant au club pour ses déplacements tant à l’intérieur de la région qu’à l’extérieur, facilitaient à certains résistants recrutés par l’Entente l’accomplissement de leurs missions et leur prise de contact avec les moudjahidine. Avant l’engagement officiel du club, les joueurs arboraient parfois des tenues rouge et blanc récupérées chez l’USFMS et, de temps à autre, du vert et blanc jusqu’à ce que les poulains de Layass optent définitivement pour les couleurs noir et blanc, une tenue découverte sur les étals d’un magasin d’habillement sportif appelé Chkambri, et qui séduisit les garçons. L’Entente devait alors évoluer en première division. Le 17 septembre 1961, l’équipe entrait dans la compétition avec son premier match officiel en coupe de France, face au RC Saint-Arnaud (El- Eulma), qu’elle écrasa sur le score de 9-0. La même leçon fut donnée quelques jours après à l’OSEI d’El- Kseur sur le terrain de Béjaïa (Bougie), sur un score sans appel de 10-0. Du coup, l’Entente était, désormais, présentée par les journaux de l’époque comme une équipe solide. Elle ne laissait aucune chance à ses adversaires. Match après match, le groupe se forgeait une renommée extraordinaire et chaque dimanche réussissait d’impressionnants cartons. A telle enseigne que les Français eux-mêmes finirent par reconnaître que cette équipe était vraiment apte à faire du chemin. L’indépendance fut proclamée, et le peuple, qui a bouté hors de ses frontières l’armée française, recouvrait sa liberté le 5 juillet 1962. Un mois plus tard, plus exactement le 5 août 1962, l’Entente réapparaissait dans l’arène et reprenait ses entraînements sur le turf du stade municipal pour prendre part à son premier championnat national. Et dès lors, débuta la grande saga de l’Entente. Depuis sa création et jusqu’à ce jour, l’Entente n’a cessé de faire vibrer, battre les cœurs et chavirer ses milliers de fans. Et l’histoire de l’Entente ne fait que commencer.
Source Le Soir d’Algérie - Imed Sellami