Il y a 50 ans, les accords d'Evian, signés le 18 mars 1962, mettaient fin à la guerre d'Algérie et ouvraient la porte à l'indépendance. Depuis, les relations entre les deux pays restent ambiguës, marquées par ces années de conflit. Des relations complexes y compris dans le football comme le montre l'historien Yvan Gastaut.Débordements lors du France/Algérie du 06/10/2001. (FRANCOIS MORI/AP/SIPA) Des joueurs algériens en France dès les années 30 Ce fossé n'a pas toujours existé. Dans les années 30, de nombreux joueurs algériens (et maghrébins) évoluaient sous les couleurs de clubs français, essentiellement dans le sud du pays. L’Algérie étant alors un département français (à l’inverse des autres colonies), les clubs français pouvaient passer outre la limite fixée à deux joueurs issus de l’empire colonial français. Leur présence était donc très appréciée au niveau des clubs.
Malgré la persistance de stéréotypes raciaux, la stigmatisation de ces joueurs restait assez faible à l’époque. Cet apport ne semblait pas poser de problème, la question de l’appartenance nationale n’étant pas encore posée avec acuité. La grande vedette du foot français de l’époque, Ben Barek, était un joueur originaire du Maroc et évoluait au sein de l’équipe de France sans que cela ne suscite de polémique.
Le début de l’insurrection en Algérie a totalement changé la donne. Dans un contexte d’affrontement durci après la bataille d’Alger en 1957, le Front de libération nationale (FLN) se décida à bâtir une "équipe nationale" algérienne composée de joueurs professionnels jouant au sein de clubs français. Le 13 avril 1958, neuf des meilleurs joueurs algériens du championnat de France ont répondu favorablement à cet appel, dont certains étaient titulaires en équipe de France.
Le sacrifice des joueurs du FLN Symboliquement, cette équipe du FLN a eu un poids énorme. Elle a montré la voie. Le geste de ces footballeurs était tout sauf anodin. Ils ont tous renoncé à leur carrière et à la Coupe du monde 58 à un moment où l’issue de la guerre d’Algérie était des plus incertaines. Le sacrifice était important. Cette équipe bénéficie aujourd’hui d’une aura énorme en Algérie.
Le FLN avait parfaitement compris quel profit il pouvait tirer du football pour son combat politique. Cette équipe du FLN ne joua aucun match sur son sol mais elle disputa près de 91 matches à l’étranger entre 1958 et 1962. Des déplacements internationaux dont l’objectif était de promouvoir les couleurs algériennes.
La FIFA refusa bien évidemment de la reconnaître, sous la pression de la Fédération française de football (FFF). Mais cela n’empêcha en rien l’équipe du FLN d’avoir un impact à l’international, au sein des pays qu’elle visita. Si cette équipe n’a pas eu de prise concrète sur le cours des évènements politiques, elle fut néanmoins l’un des facteurs de l’indépendance de par son poids symbolique.
Les incidents du 6 octobre 2001 Depuis les Accords d’Evian et l’indépendance de l’Algérie, dans le football, les rapports entre les deux pays restent profondément ambigus. Si les Algériens ont manifesté une forte sympathie pour l’équipe de France victorieuse de 1998, les deux pays ne sont jamais parvenus à se retrouver sereinement sur un terrain de football depuis.
Les incidents qui ont émaillé le 6 octobre 2001 le match entre la France et l’Algérie à Saint-Denis (Marseillaise sifflée, envahissement du terrain,…) ont révélé, à travers ce simple match de football, qu’un certain nombre de fractures n’avaient toujours pas été refermées entre les deux pays. Cette rencontre, qui devait être celle de la réconciliation puisqu’elle faisait office de lancement de "l’année de l’Algérie en France", fut révélatrice d’un mal-être franco-algérien, d’une incompréhension persistante entre les deux nations. D’une incapacité à se retrouver. Le football révélant là encore un état latent de la société.
Zinédine Zidane en visite en Kabylie, le 15/12/2006. (NEW PRESS/SIPA) Le consensus Zidane Le football est appréhendé en Algérie comme l’un des ciments de l’identité nationale. Sa symbolique reste donc forte. Quelle que soit la génération, les joueurs franco-algériens ont pu en faire l’expérience depuis 1962, pris entre ces deux identités et poussés in fine à choisir une sélection et renoncer à l'autre.
Récemment, au cours de la Coupe du monde 2010, la présence de nombreux joueurs franco-algériens formés en France au sein de la sélection algérienne avait aussi suscité de vifs débats en Algérie. Preuve que les séquelles de la guerre ne sont pas tout à fait refermées et qu’elles n’ont jamais cessé de peser sur la carrière des footballeurs franco-algériens.
La seule figure à être parvenue à faire l’unanimité aujourd’hui reste Zinedine Zidane tant il dispose d’une aura de star immense. Issu d'une famille algérienne, né à Marseille, il n'a découvert l'Algérie qu'en 1986 mais il est le seul à dépasser ses fractures, ses clivages. Le fait qu’il porte le maillot bleu n’ayant empêché en rien le peuple algérien de se l’approprier.
Propos recueillis par Sébastien Billard